Cette chanson de Calogero est le cinquième titre de l’album qui porte son nom, datant de 2002. Elle est passée au second plan derrière le rouleau compresseur En apesanteur, mais n’en perd pas son attrait pour autant.
Le parolier Patrice Guirao pose ses mots sur cette chanson pop-rock d’une structure assez classique. Nous reviendrons sur ce texte qui, disons-le d’emblée, est assez énigmatique. « On la comprend et on ne la comprend pas », dira le chanteur grenoblois lors d’une interview.
La joie du renversement
Calogero (et son frère Gioacchino, qui compose avec lui), c’est le roi de la mélodie. Chez lui, pas de place pour la mélodie qu’on improvise sur 3 accords, en restant toujours sur les mêmes notes. C’est dessiné, sculpté, tout en restant audible et harmonieux.
Mais ce qui fait la force de cette chanson, c’est pour moi la grille d’accords qui use de renversements.
Le renversement, c’est faire reposer un accord non pas sur sa fondamentale (celle qui donne son nom à un accord), mais sur une autre de ses notes. Au lieu de poser do-mi-sol (accord fondamental), on fait mi-sol-do, ou bien sol-do-mi. C’est donc une histoire de basse, qui est l’instrument qui sait lire ce qu’il y a derrière la barre oblique dans le nom des accords !
Le bassiste à l’œuvre
Le fait que Calogero soit bassiste n’est surement pas étranger à son gout pour le renversement. On l’entend au milieu du refrain d’un autre titre de l’album, Aussi libre que moi, avec un magnifique fa-la-ré (noté Dm/F).
Avec son médiator (oui, la basse électrique se joue aussi au médiator), Calogero utilise son instrument de façon plus harmonique que rythmique sur ce titre.
La grille du refrain se décompose en deux parties :
1) une montée : la basse suit cette ligne :
Am E/B Am/C Dm/F
Notez le 4ᵉ accord, sur lequel on aurait attendu un Dm non renversé, pour faire la-si-do-ré. Mais on se laisse surprendre avec cette retombée, qui amorce la pédale qui suit, où la mélodie et la basse se rejoignent. (Quel dommage, sur la somptueuse version symphonique de 2011, ils ont supprimé ce Dm/F !).
2) une pédale : la basse pose un socle qui ne bouge pas :
Dm E/D Dm E/D … que des ré.
La richesse des accords sur ce refrain laisse place ici à une mélodie plus serrée, avec moins de notes. Ce serait sinon trop chargé pour nos oreilles.
Le reste de la chanson reste simple (quelques guitares sans fioritures) mais efficace.
Une invitation à nous affranchir de nos racines
Même si le texte n’est pas très clair (le clip non plus), je me risque à avancer le sens suivant, avant d’en tirer comme d’habitude un petit enseignement en lien avec la foi chrétienne.
Nos racines nous suivent, où qu’on aille.
On a du mal à les identifier, et même à les dimensionner (« pas plus grand qu’un cœur tranquille » et en même temps « toujours restées loin, [comme] la mer sans fin ». Les racines, dans le vocabulaire de cette chanson, représente nos attaches présentes (plus que nos repères du passé).
C’est ce qui nous retient, et parfois même nous empêche d’être vraiment nous-mêmes. N’ayons pas peur de s’aimer, de se désaimer (emploi de ce vieux verbe pour résonner comme le premier, les deux mettant en musique la même tenue sur 7 temps).
En fait, « on ne ressemble qu’à ce qu’on fait », « on est semblable à ce qu’on est ». En prenant les mots de Jean-Paul Sartre, ça donnerait « Nous sommes nos choix. »
N’ayons pas peur de rêver ! Même si cela nous expose aux autres (alors que nous « voulons toujours cacher aux autres [nos] failles », une des plus belles phrases de la chanson.)
Mais au final (et ce sont les tout derniers mots de la pièce), ces rêves nous ramènent un peu au même point : on prendra de nouvelles racines suite à ce que nous aurons entrepris.
Qu’est-ce qui nous retient ?
Cela me fait penser à une histoire contée par Jésus à quelqu’un qui ne faisait que rêver d’un plus tard avec Jésus. C’est l’invitation à un grand festin, mais à laquelle les gens répondent avec des excuses plus ou moins fondées (Luc 14.15-24). Des « racines » qui les retiennent et les empêchent de vivre la vraie vie.
Ainsi, n’ayons pas peur de remettre en question nos attaches, n’ayons pas peur de rompre avec ce qui ne nous fait pas du bien. Pour « toucher les cimes ». Et avec Dieu, « prendre racine. »