À côté de quelques autres titres plus graves de son plus célèbre album (Partir, Come Home, L’ombre d’un homme…), le chanteur tourangeau Ben l’Oncle Soul (aujourd’hui dénommé simplement « Ben ») livre ici une chanson légère, et presque drôle.
Sa cible est tout simplement sa petite sœur, avec le projet de lui faire prendre conscience que son caractère est plutôt difficile. Si elle se plaint que personne ne veut d’elle, c’est peut-être tout simplement… de sa faute !
De la soul en français
Ben l’Oncle Soul est venu apporter quelque chose de plus sur la scène française des années 2010, au-delà de sa voix de crooner soul, entre Stevie Wonder et James Brown : l’aisance particulière à chanter de la soul en langue française. Là où on s’en tient à l’anglais par facilité parce que « ça sonne mieux », Ben parvient, comme peu de gens savent le faire, à faire groover les mots dans la langue de Molière.
Cela tient en grande partie à sa manière d’écrire en faisant tomber les syllabes au bon endroit. Le rythme des mots correspond assez bien à la langue parlée, et cela donne un air très naturel à la mélodie, tout en restant bien rythmé.
Les instruments des années 1960
Tout dans le style de cet album reprend les codes de la soul des sixties (et même au-delà de la musique : le style vestimentaire, les couleurs des clips, le nœud papillon du chanteur…).
Les guitares, mais surtout les cuivres et les orgues, ont chacun une fonction rythmique bien précise.
Le saxophone baryton, grand frère de toute la famille des instruments d’Adolphe Sax, y a même sa place avec sa voix rauque (il assure souvent la transition entre deux mesures, avec un petit glissando montant, on l’entend dans la coda du morceau par exemple).
Les orgues, de type Hammond B-3, jouent sur l’intensité et la rapidité de la vibration (avec un équipement d’amplification appelé cabine Leslie, ce qui contribue à donner de l’épaisseur à cet instrument qui, par définition, manque de nuance (un tuyau d’orgue, c’est on ou off, et c’est tout). Aujourd’hui, ces orgues électriques de l’époque valent des fortunes !
La batterie n’hésite pas à placer une caisse claire sur tous les temps (cela ne se fait dans pas beaucoup d’autres musiques). Mais puisque tous les autres instruments tiennent de forts rôles rythmiques, elle peut se le permettre.
2-5-1
J’ai déjà parlé de la technique jazz du 2-5-1 : pour rejoindre un accord cible (nommé le 1), on passe par son 2, puis son 5, et enfin on peut poser le 1.
La descente d’accords du refrain suit la ligne suivante :
Fm E♭ D♭ A♭
Pour atteindre le 3ᵉ accord de la suite (le D♭, nommé le « 1 »), l’arrangeur utilise le E♭ pour en faire le « 2 », en le transformant en mineur . Il ne reste plus qu’à insérer le 5 entre les deux pour offrir une transition jazz qui coule naturellement :
Fm E♭m (A♭) D♭ A♭
La coda
Les chansons ont souvent besoin de respirer. C’est le rôle d’un pont ou d’une coda. La différence entre les deux est que le pont permet de relancer un refrain, de revenir au chant principal. La coda offre une fin alternative, sans intention de relancer le chant.
La coda offre un beau crescendo. Les instruments, qui s’arrêtent presque tous, reviennent petit à petit pour nous amener une fin explosive. piano, orgue, batterie, puis guitares, piano électrique, basse, cuivres, tambourin… Amusez-vous à les repérer quand ils arrivent !
Y’en a marre
Je n’ai pas trouvé de grands points de contact entre les éléments musicaux et le texte sur cette chanson. La soul nerveuse donne simplement à l’ensemble un ton assourdissant, presque pour dire « J’en ai marre ».
Et c’est ainsi que s’ouvre le premier couplet :
Comment te dire
Ça m’fait de la peine
Je n’vais pas te mentir
Malgré l’ampleur du phénomène
L’interprète est fatigué de la situation concernant sa petite sœur, et lui en fait part sans détour. Personne ne la supporte, et quelqu’un doit lui dire qu’elle a très mauvais caractère, car aucun de ses copains ne la supporte ! Et c’est son grand frère qui s’attelle à la tâche.
Toi et moi, on se connait
Un frère et une sœur, quelle relation plus proche pour se connaitre l’un l’autre ? On a grandi ensemble, on a partagé les mêmes évènements familiaux, les mêmes repas, les mêmes soirées. On a peut-être eux de longs moments de discussion. On est peut-être devenu amis, inséparables.
Un frère, une sœur, c’est précieux. Précieux pour partager des souvenirs, mais aussi pour pouvoir se dire certaines choses. Des choses qui sont parfois dures à entendre :
Vivre avec toi est un cauchemar
Tes amours ont un air d’incarcération
Te supporter est une victoire
Je ne suis pas sûr de pouvoir encaisser le quart de ces accusations ! Mais la relation fraternelle peut permettre, parfois, de se dire ainsi les choses. Et justement, parce qu’on se connait bien.
J’te connais par cœur
En long, en large, petite sœur
(savourez l’emphatique « laaaarge »)
Supportez-vous les uns les autres
Supportez-vous les uns les autres. Et si l’un a quelque chose à reprocher à l’autre, pardonnez-vous réciproquement.
Colossiens 3.13
C’est là tout un programme, d’arriver à se supporter ! Y compris dans les Églises censées vivre des relations de type fraternel (entre frères et sœurs qui se connaissent bien et qui arrivent à se dire les choses).
C’est comme là une sorte de « niveau zéro » de l’amour. Une toute première marche, qui peut parfois à elle seule être éprouvante à gravir. Mais une marche nécessaire pour toutes nos relations.
La vie nous apprend que plus on connait une personne, plus on a de choses à supporter chez elle ! C’est facile de supporter une personne croisée dans la rue, parce que je ne connais rien d’elle.
Mais ceux qu’on connait « par cœur » ont la fâcheuse tendance de nous énerver, et il nous faut apprendre à les supporter.
Jésus nous connait, et nous supporte !
Les chrétiens connaissent celui qui les supporte complètement, tout en étant celui qui les connait le mieux !
Il est comme ce grand frère, qui nous voit au quotidien en habitant avec nous, qui connait nos failles, nos défauts, notre côté insupportable. Et il sait nous parler avec la nécessaire grâce, et l’indispensable vérité.
[La Parole] a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité.
Jean 1.14