Désir de l’impossibleJacques Brel – La quête

C’est un thème universel que cette chanson de 1968 exprime : la poursuite de ses rêves ! Le crooner belge, aimant mastiquer et déclamer les mots, traduit, une fois n’est pas coutume, une chanson de l’anglais. La quête appartient en effet à la comédie musicale de Broadway Man of La Mancha, que le grand Jacques a adaptée en français, retraçant le récit de Don Quichotte.

C’est ce héros hispanique médiéval qui répond à Dulcinée, l’objet de son amour : « je t’appelle Dulcinée car je poursuis la quête de l’impossible rêve ! »

YouTube player

Des métaphores vibrantes

Le parolier a rendu ce thème de la quête inaccessible par quantité de métaphores :

Bruler… d’une impossible fièvre
Partir… où personne ne part
Aimer… jusqu’à la déchirure

Même si elle porte le même titre, la chanson d’Orelsan de 2022 ne porte pas le même sens : pour le rappeur caennais, l’important ce n’est pas l’arrivée, c’est la quête elle-même. Alors que pour Brel, c’est précisément l’arrivée (même si elle n’est finalement qu’imaginaire) qui donne à son coureur la force d’y arriver. Ainsi, même si on sait que l’étoile est inaccessible, on s’y dirige tout de même.

Cela pourrait bien rejoindre la célèbre phrase de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

C’est quoi, poursuivre ses rêves ?

Cela a beau être un thème surexploité dans l’univers de la fiction, c’est parfois difficile de saisir ce que signifie vraiment une telle quête.

Poursuivre un but (même réalisable) à tout prix, ça nécessite forcément d’autres renoncements. Qu’est-on prêt à laisser, à lâcher, voire à sacrifier pour atteindre son objectif ? C’est là la sagesse de toute une vie.

Les paroles mentionnent une extrême :

Se damner pour l’or d’un mot d’amour

Littéralement, c’est être prêt à renoncer à son espérance éternelle avec Dieu pour obtenir en échange l’amour de la Dulcinée de nos rêves. Est-ce que cela vaut vraiment le coup ?

Suivre l’étoile

Évidemment, les lecteurs de la Bible auront reconnu l’allusion au récit des mages qui, en voyant cette étoile, n’ont pas hésité à entreprendre un grand voyage.

L’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.

(Matthieu 2.9)

Si ces savants ont poursuivi leur rêve en suivant l’étoile, c’était pour trouver le vrai sens à leur vie : ce petit enfant, qui n’était autre que Jésus de Nazareth, ce fragile bébé à Bethléem. Voilà la vraie étoile qui, elle, n’est pas inaccessible !

Qui est accessible à tous, même les plus faibles ; alors, pourquoi ne pas

tenter, sans force et sans armure

Orchestre à vent

Cette chanson relativement courte (moins de trois minutes) trouve un joli écrin avec son orchestre à vents qui l’accompagne. Pas de cordes, mais des vents (cuivres et bois) qui soufflent quand il le faut.

Laissez-vous envouter par les réponses du hautbois pendant le premier couplet, ou par les gros cuivres qui donnent du coffre pendant le refrain !

Il n’y a pas de batterie (sauf une caisse claire vers la fin), mais une simple basse qui imprime le rythme en restant sur chaque début de mesure. Probablement une contrebasse, même si sur la fin, cela ressemble même à des timbales.

Il y a tout de même quelques cordes : on entend une ou deux discrètes guitares sèches.

Le rythme est doublement ternaire : des mesures à trois temps, chaque temps étant divisé en trois croches. On chiffre cela « 9/8 ».

Voix

Jacques Brel, c’est évidemment un grand interprète. Sa voix fait résonner chaque mot quitte même à trainer et insister.

Aimer […] jus – qu’à la […] DÉ-chiru[…] RE

Le chanteur prendr surement un bon plaisir à bien grasseyer tous ses r (ce que fait aussi Mireille Mathieu dans sa reprise de la même chanson), en phonétique c’est la consonne roulée uvulaire voisée, notée [ʀ].

C’est un peu le r du passé, même si certains l’utilisent encore, comme Stromaé :

Alorrrs on danse !

Quand il le faut, la musique s’efface pour laisser toute sa place à la voix, c’est l’art d’être un bon arrangeur en tenant compte de tous les paramètres musicaux. Écoutez cette étoiiiiiiiiile de 5 secondes à la fin !

Accords

Notons encore pour terminer une curiosité harmonique : un changement d’accords peu commun :

  • à 1’39 : A♭ puis D⁷
  • 1’47 : E♭ puis Am

Ce sont les accords les plus éloignés dans le cycle des quintes (espacés de trois tons). Et pourtant, ça fonctionne. La où l’on attendrait un accord de Fa après le Mi ♭, l’arrangeur utilise le do de la mélodie pour l’intégrer dans un accord de La mineur.

Reprises

Au niveau des reprises, beaucoup ont essayé de reprendre cette chanson de 1968 (régulièrement reprise par des candidats des télé-crochets).

  • Celle de Maurane (2018) est assez fade. De l’orchestre à vents, elle n’a gardé que les cors.
  • Pierre Bachelet a proposé en 2003 un version à quatre temps au lieu de trois.
  • Johnny Halliday a clôturé le set d’une de ses tournées (2001) par ce titre, et il parvient assez bien à transmettre l’émotion nécessaire pour ce titre (« un mot d’amûûûûr »).

Inscrivez-vous pour recevoir chaque mois un aperçu de mes publications dans votre boîte de réception.

Je ne spamme pas ! Consultez ma Politique de confidentialité pour plus d’informations.

One Reply to “
Désir de l’impossibleJacques Brel – La quête

  1. Belle découverte, comme d’hab! « Pour atteindre l’inaccessible toiiiiit » (de l’Afrique), ca marche aussi?!!

Comments are closed.