Un chanson humanitaire du groupe de reggae de Birmingham UB40, quelques années avant plusieurs productions de supergroupes caritatifs, dont le plus célèbre, Band Aid, en 1984 contre la famine qui sévissait en Éthiopie. Mais la faim faisait des ravages bien avant 1984.
Deux chansons, deux démarches
La démarche de Food For Thought est à l’opposé du titre Do They Know It’s Christmas. Le titre de 1984 de Band Aid tablait sur la générosité et l’esprit de partage de Noël, et terminait sur ces paroles :
Feed the world,
Let them know it’s Christmas time againNourissez le monde,
(traduction libre)
Et faites-leur savoir que c’est Noël
(À noter que les chrétiens éthiopiens ont plutôt mal pris cette dernière phrase : c’est l’un des pays où les chrétiens sont présents depuis le plus longtemps !).
La chanson de UB40 que nous étudions, si elle a le même but et le même contexte (c’est bientôt Noël), met en avant, en culpabilisant l’Occident : l’énorme contraste entre l’opulence de ses festins de Noël et le manque cruel de nourriture en Afrique orientale.
Et de plus, en ciblant clairement… les chrétiens.
La vierge d’ivoire
Ivory Madonna, dying in the dust
Waiting for the manna coming from the WestLa vierge en ivoire, meurt dans le sable
Refrain, traduction libre
En attendant que la manne arrive de l’Occident.
Autrement dit : votre religion ne nous apporte rien. Ce ne sont pas vos statues de la Vierge en ivoire qui vous nourrir les populations en souffrance. La religion des « blancs » n’a rien fait pour les peuples africains qui meurent de faim.
La comparaison est d’ailleurs truculente dans la première strophe :
Barren is her bosom, empty as her eyes
(traduction libre)
Ses seins sont taris, elle est vide comme son regard
Impossible de ne pas faire le parallèle entre ces faux dieux que se sont fabriqués les hommes depuis toujours, ainsi décrits dans la bible :
Avec le reste du bois, il se fabrique un dieu, son idole,
Ésaïe 44:17-18
Il se prosterne devant elle, il l’adore, il l’invoque, et s’écrie: “Sauve-moi!” Car tu es mon dieu!
Ces dieux-là n’ont ni cerveau ni intelligence,
Car on leur a fermé les yeux pour qu’ils ne voient pas,
Et le cœur pour qu’ils ne comprennent pas.
Un morceau de bois, une statuette en ivoire, ne sont jamais de vrais dieux. Le Dieu de Jésus-Christ est celui qui n’est justement pas comme tous ces objets faits de main d’homme : il voit, il entend, il agit ! Tout le contraire d’une image de la Vierge taillée dans l’ivoire.
Que fait-on pour lutter contre la faim ?
Mais qu’on accorde ou non un pouvoir dans les statues, la critique demeure : que font les chrétiens pour lutter contre la faim dans le monde ? Dans nos habitudes de consommation, jusque dans nos assiettes, comment se reflète la joie de la foi dans la dimension du partage, de la sobriété, du souci pour les populations défavorisées ? À chacun de se poser la question. On peut saluer plusieurs démarches chrétiennes encourageantes qui n’en restent pas à prier ni à distribuer de la « joie de Noël » en guise de bons vœux.
Lors de notre prochain festin lié à une fête chrétienne (Noël, Pâques…), réécoutons cette chanson en pensant à ceux qui attendent la « manne » qui vient du ciel (et pourquoi pas de l’Occident). La nourriture, en réflexion (Food for Thought).
Dub stepper
Cette chanson reggae est sur un style dub stepper (ne pas confondre avec le dubstep, très lointain cousin des années 2000.)
On y reconnait l’une des bases de la musique dub (faisant jouer les chambres d’écho et les réverbes) : la grosse caisse sur tous les temps.
On peut l’imaginer en croches régulières, ainsi. C’est le cas par exemple de Punky Reggae Party de Bob Marley.

On peut le jouer en croches ternaires (shuffle), comme dans Food for Fought

Notons qu’à 3’22 et 3’37, le batteur s’affranchit du shuffle et livre de petits breaks en binaire.
Cette variante de rythmique reggae, le dub stepper, fait son effet ; plus énergique et plus insistante, on comprend son affinité plus tard avec le dub électronique, et son influence sur beaucoup d’autres musiques. Le Four on the flour (les 4 temps sur la grosse caisse) ont encore de beaux jours devant eux ! Un exemple d’électrisation de la dub : (les groupes de danseurs dans le clip, décorrélés de la musique, sont drôles).
Une cousine de Master Blaster (Jamming)
On peut être frappé de la ressemblance de notre titre de UB40 avec un autre titré sorti la même année, de Stevie Wonder. Même dub stepper en shuffle (vous suivez), et presque le même tempo (à 1 point près : 131 au lieu de 132 noires à la minute). Les deux chansons sont construites sur le même schéma (avec une recherche du riff plus présente chez Stevie).
Saxophones
Outre les frères Campbell, UB40 comptait dans ses rangs un saxophoniste (décédé en 2001), qui a la part belle dans ce titre, avec deux solos (gonflés de réverbe bien sûr, comme souvent dans le dub).
Le début du solo de ténor est même légèrement faux (1’57) ; mes amis saxophonistes pourront peut-être m’expliquer pourquoi ?
Le saxophone double même les accords à plusieurs reprises. La grille d’accord est extrêmement simple (notez la descente harmonique à la basse.
Am – E/G♯ – G – D/F♯
Reprises
Il existe littéralement des centaines de chansons portant le même titre, mais qui n’ont rien à voir avec notre UB40 de 1980.
À défaut d’autre chose, signalons Gérald de Palmas, qui a repris ce titre à deux guitares : https://www.youtube.com/watch?v=7mCul8VxF7o
Réenregistrée à l’occasion des 45 ans du groupe :