Ça va vite. Dans cette chanson sortie en 1988, la Mano Negra bouillonne d’énergie en proposant ce qui deviendra leur tube le plus célèbre. De l’espagnol, un mélange des genres entre rock, salsa et ska, et la nervosité d’une jeunesse survoltée des années 1980.
Complémentarité des instruments
L’ensemble de ce titre survitaminé relève d’une savante recette, assignant chaque instrument à un rôle bien précis, pour construire un assemblage réussi et entrainant.
- la batterie, qui « mouline » du début à la fin, sur une rythmique double time (chaque croche est accentuée). Elle ne bouge pas sur tout le morceau, à part sur les breaks (voir plus loin), et livre son ostinato tel un métronome.
- la basse, qui reste plus ou moins sur les temps sans faire de folies.
- la guitare acoustique, qui fait la « pompe » (comme en jazz manouche), c’est-à-dire à aligner vigoureusement la grille d’accords sans s’arrêter
- la guitare électrique, qui prend un rôle très mélodique, et propose un contrechant au son rockabilly et apporte une touche hispanisante.
- les trompettes, qui offrent une décoration puissante quand les couplets chantés s’arrêtent.
- un orgue qui fait quelques nappes et débite un petit solo au milieu du morceau.
On peut entendre sur cette analyse les pistes qui s’empilent les unes sur les autres.
Un break de batterie pour lancer le refrain
La batterie (comme l’ensemble de l’orchestre) propose un break (= coupure) avant chaque refrain. Cela permet de faire une pause, de relancer la machine de façon encore plus puissante, et surtout de mettre en valeur le texte du refrain.
Cette technique marche toujours bien quand on a un refrain en levée !
Note : on appelle parfois un break de batterie la pratique consistant à faire une variation de remplissage à la fin d’un cycle par exemple. Mais ceci s’appelle un fill (= remplir), contrairement au break, qui coupe la rythmique. De plus, le break est assez souvent lui-même précédé d’un fill pour le mettre en valeur. Dans notre titre, ce fill (par exemple à 2’13) est un roulement sur la caisse claire.

Accuser l’autre de son malheur
Il n’y a pas beaucoup de texte dans cette chanson (un couplet, un refrain, en gros). Les paroles de Manu Chao sont centrées autour d’une accusation à l’encontre d’une Gitania, responsable selon l’auteur de son malêtre :
Tu me estás dando… mala vida
Tu me donnes… le mal de vivre
L’auteur exprime une soif, un besoin d’amour, mais… celui-ci n’est pas assouvi.
Mon cœur souffre de malnutrition, mais tout ce que tu me donnes, c’est… le mal de vivre.
Malgré tous ses efforts, le protagoniste de la chanson n’a qu’une seule envie, de s’échapper à toutes jambes (ou bien est-ce un euphémisme le poussant au suicide).
Yo pronto me voy a escapar
Gitana mía por lo menos date cuenta
Gitana mía por favor
Tu no me dejas ni respirarJe m’apprête à m’enfuir
Ma Gitane, réalise, au moins !
Ma Gitane, s’il-te-plait,
Tu ne me laisses pas respirer
Bien sûr, on n’a aucune connaissance de ce qui se passe exactement dans ce couple. Peut-être que l’homme se victimise à l’excès et rejette la responsabilité de leur mauvaise entente sur sa compagne (pour tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage !). Ce serait là une tendance bien humaine.
Peut-être que la souffrance est réelle, et que l’homme étouffe littéralement sous le comportement de celle qu’il aime. « Chaque jour, mon cœur encaisse ! » (Cada dia se la trage mi corazón — qui a déjà prononcé correctement ce début de refrain ?!?) Ce serait là un travers bien humain également, que de vouloir dominer sur l’autre.
Impossible d’interpréter plus loin, mais remarquons que la chanson passe vite (moins de 3 minutes) ! Son rythme effréné empêche peut-être de s’assoir, de réfléchir, de peser le pour et le contre, d’analyser les sentiments de part et d’autre… Hélas, c’est ce qui se passe bien souvent : on accuse avant de comprendre, on juge avant de savoir, on tranche avant d’aimer.
Dieu, lui, continue à nous aimer
Ce qui peut se comprendre sur le plan humain (fuir quand on n’arrive plus à aimer) est tout autre dans la relation à Dieu :
Le Père céleste a manifesté son amour pour les êtres humains bien avant qu’ils ne soient eux-mêmes aimables. Et d’ailleurs, qui serait assez aimable pour être aimé par Dieu ? Personne.
C’est ce que dit l’apôtre Jean :
L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.
— 1 Jean 4:9-10
On pourrait prêter à Dieu ces mots du couplet de Mala Vida (excepté la grossièreté) :
Dime tú porque te trato yo tan bien
Cuando tu me hablas como a un cabrónDis-moi pourquoi je te traite si bien
Alors que tu me parles comme à un c**
Interprétation politique
Certains écouteurs de la chanson voient dans la figure de la Gitane tyrannique une image de la France. Dans le contexte politique de l’époque, en observant aussi la scène rock alternatif française, c’était très courant de critiquer le pays et ses autorités (Mano Negra, c’est aussi le nom d’un collectif anarchique andalou (supposé) du 19ᵉ siècle).
Le clip
Un dernier mot sur le clip, fait de cinéma muet et d’hommage au resquilleur de rue, au petit voyou populaire. Il convient très bien à la chanson et est assez réussi.
Reprises
- En pure salsa, la reprise du colombien Yuri Buenaventura
- Côté émotion, plus lente et plus flamenco, celle d’Olivia Ruiz