King for a day appartient au 4ᵉ disque du groupe Jamiroquai, groupe britannique d’acid-jazz virant à partir de là vers la funk, et plus tard la disco. Avec à sa tête Jay Kay, cette formation a été très populaire dans les années 1990 avec un son innovant.
Des accords en tension
Cette chanson de 3’44 installe une ambiance mystérieuse, grâce à sa double série de quatre accords, qui ne trouvent jamais de résolution (sauf à la toute fin). À mille lieux des « 4 accords magiques qu’on nous sert à toutes les sauces » (PV Nova), les harmonies restent sans cesse en suspens, et maintiennent une tension captivante.
Le clavecin ouvre avec la première grille d’accords :
F♯m⁷ F𝄪⁰ C♯m/G♯ A
(𝄪 = ♯♯)
Les plus aguerris auront remarqué qu’une note est commune à ces quatre accords, le do♯. Ce n’est pas pour rien que le chant oscille sans cesse autour de cette note.
Vous aurez aussi remarqué la montée chromatique de la basse, condamnée à reprendre à chaque fois au début, tel Sisyphe et son rocher.
Le couplet offre une deuxième grille d’accords, avec le même genre de tension (l’accord diminué est aussi présent) :
E♭ A♭m/C♭ D° E♭/D♭
Là aussi, une note commune sert de pivot à la mélodie du chanteur, le mi♭ (seul le 3ᵉ accord fait exception).
Ce n’est qu’après l’épilogue de la chanson que – ouf! – on se repose avec un accord de A♭m final, tenu par l’orchestre à cordes.
Orchestrations fines
Les cordes (qu’on aperçoit aussi régulièrement dans le clip) enveloppent la chanson avec tantôt des tenues, mais aussi des contrechants réguliers. Simon Hale, l’arrangeur qui a travaillé avec beaucoup d’artistes, est talentueux.
Le reste est plutôt simple, les arpège au piano, la batterie, la basse. On sent que le génie de la basse n’est plus là.
Stuart Zender
L’emblématique bassiste de Jamiroquai dès ses débuts a produit bien des riffs de basse incroyables (écoutez Cosmic Girl ou Too Young to Die !). Mais l’époque de ce 4ᵉ album de Jamiroquai, Synkronized, est celle de la rupture entre le chanteur Jay Kay et Stuart Zender. Stuart décide de quitter le groupe. La version officielle met en avant une préoccupation pour sa famille, mais les tensions entre lui et celui qui était devenu le leader du groupe ne sont pas inconnues.
Jay Kay devenait le groupe à lui tout seul, signait les contrats seul, alors que l’esprit de départ était celui d’un collectif, dans lequel Stuart ne trouvait plus sa place.
Résultat, Jamiroquai réenregistre toutes les pistes de basse déjà dans la boite par un autre bassiste. Et le titre King for a day semble ajouté à la fin de l’album, après-coup.
Déguisée en rupture amoureuse, notre chanson serait un « hommage » adressé par JK à Stuart, lui déclarant qu’ils n’ont ainsi plus rien en commun ensemble.
Il n’y a aucune chance que je revienne vers toi
Il n’y a aucun espoir de paix et de réconciliation
traduction libre
Le reproche de son choix est à peine déguisé :
Tu aurais pu parler plus tôt
Raconte ta version à tout le monde, mais elle ne vaut pas grand chose.
traduction libre
La déception d’une trahison
Personne n’aime se faire trahir. JK a probablement ressenti cette rupture comme très douloureuse, et aurait voulu « se venger » avec ces lignes.
Le clip le met en scène, déambulant un peu ivre (un verre à la main du début à la fin, avec des petits airs de Jack Sparrow) dans un grand château, où chaque musicien du groupe occupe une pièce. Comme pour dire « ceux-là, ils sont encore là ». Et dans ce chateau, on ne trouve aucune trace réelle d’amour.
« Roi pour un jour » : c’est ce que prédit JK à propos de Stuart Zender (si cette interprétation est fondée). Tu aurais pu rester roi pour toujours avec nous, tu ne seras plus que roi d’un jour, a king for a day.
De la grâce malgré tout
Les pré-refrains montrent une certaine magnanimité de Jay Kay pour son ex-acolyte :
Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te blâmer
traduction libre
Je ne suis pas pressé de te voir tomber
Et plus loin :
Étends tes ailes, et envole-toi.
traduction libre
Je suis certain que tu es convaincu au fond de toi
Que tu as encore quelque chose à dire
Jésus, l’homme trahi et abandonné
Contrairement à Jay Kay, Jésus n’est pas rancunier après que ses plus proches amis l’ont abandonné. Il n’a pas prononcé des paroles de « bien fait pour toi et débrouille-toi maintenant », mais des paroles qui relèvent.
Notamment à son disciple Pierre, qui l’avait trahi peu de temps avant à trois reprises. « Est-ce que tu m’aimes, Pierre ? », lui demande-t-il trois fois avant de le réhabiliter dans son service et lui confier de grandes responsabilités.
Comment gérons-nous la rancune dans nos vies ? La laissons-nous prendre le dessus, sans jamais trouver de résolution (à l’image de la grille d’accords), ou lui offrons-nous une belle décontraction (comme l’accord final) ?