Rien que des motsDalida & Alain Delon – Paroles, paroles

C’est une chanson italienne qui a fait le tour du monde. Repérée par le frère de la chanteuse franco-italienne Dalida, elle est traduite en français pour elle en 1973 par une parolière de l’époque (Michaële). Dalida choisira son ami Alain Delon pour interpréter la voix masculine de ce duo.

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Le clip officiel est sorti en… 2019 (mais ne contient que de pâles images d’archive).

Un dialogue de sourds

C’est une conversation où l’homme et la femme ne se comprennent pas. L’homme (Alain Delon) débite des mots d’amour tous plus reluisants les uns que les autres, la femme (Dalida) n’y voit là qu’un fade bla-bla qu’on peut servir à tout le monde.

La voix de velours de l’acteur parisien, disparu il y a peu, a beau redoubler d’efforts pour charmer son être aimé.

Tu es ma seule vérité
Tu es la seule musique qui fait danser les étoiles sur les dunes.
Tu es comme le vent qui fait chanter les violons
Et emporte au loin le parfum des roses.

Remarquons qu’ici, c’est l’homme qui « tient le crachoir », et la femme qui est saoulée (contrairement à la majorité des couples dans lesquels c’est la femme qui aime parler).

Les vers reflètent (peut-être) un grand élan du cœur, sont amenés avec chaleur et passion, et virent parfois à la supplication (« Je t’en prie », « Écoute-moi ») mais rien n’y fait : la femme reste insensible, et persuadée qu’il s’agit là d’un ramassis de paroles, dénuées d’authenticité.

Soupçons d’hypocrisie

Trois reproches sont adressés aux mots du charmeur : –

  • Les mots sont trop faciles : en effet, ce n’est souvent pas compliqué de dire des mots, même si ceux-ci sont très éloignés de notre pensée.
  • Les mots sont fragiles : ils n’ont pas de réelle portée dans le concret. Comme des sculptures en sable, on peut les construire, mais ils ne durent pas très longtemps.
  • Les mots sont trop beaux : à vouloir être trop poète, on en devient lourd !

Résultat : c’est comme si elle disait : « offre ces mots à une autre ! » ou « J’ai envie de silence ! ». Ce sont des paroles « que tu sèmes au vent » (d’ailleurs cette traduction est un peu moyenne : elle ne correspond pas très bien à la mélodie puisqu’elle accentue la syllabe au !).

Caramels, bonbons et chocolats
Tu peux bien les offrir à une autre
Qui aime le vent et le parfum des roses…

Comme des friandises rapidement achetées chez le confiseur, les mots peuvent être offerts parfois trop rapidement, manquant de sincérité.

Et, ils n’atteignent pas leur cible.

Tout cela se pose sur ma bouche, mais jamais sur mon cœur.

On ne sait pas, finalement, lequel des deux se trompe. L’amour est-il sincère ? Est-il surjoué et hypocrite ?

L’hypocrisie : ce que Jésus a combattu par dessus tout

Il est surprenant de remarquer que quand Jésus réagit fort, c’est face aux hypocrites. Ceux qui disent des paroles sans que cela ne reflète ce qu’ils pensent.

Jésus leur répondit: Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé sur vous, ainsi qu’il est écrit: Ce peuple m’honore des lèvres, Mais son cœur est éloigné de moi.

Marc 7:6

Veillons sur nos paroles par dessus tout. Ce sont elles qui sont censées révéler le fond de notre cœur.

Alain Delon a témoigné plus tard que pendant l’enregistrement de la chanson, c’était tout autre chose, il y avait une vraie complicité entre les deux vedettes. Il dira à Dalida « Je ne te dis pas “comme tu es belle” parce que ce sont les paroles, mais parce que tu es belle ! »

Bossa-nova

L’arrangement est dans un style classique de bossa-nova. Ce style est souvent adulé par des chanteurs français d’hier à aujourd’hui. Il permet au chanteur de ne pas trop se fouler (c’est respectueux), la rythmique étant portée toute seule par la guitare et les percussions. Alain Delon ne chante d’ailleurs pas du tout dans ce titre, mais se contente de parler. Benjamin Biolay utilise souvent ce style originaire du Brésil, ou encore Henri Salvador (et son fameux Chambre avec vue) et même Élie Sémoun (en 2000), sur le mode crooner.

La bossa est portée par un ostinato rythmique, à la guitare :

La guitare exploite largement les septièmes et les neuvièmes dans ses accords. Ce qui donne aux guitaristes bossa un style tout à fait particulier, très éloigné de la guitare pop, folk ou rock. La bossa se joue sur une guitare classique bien sûr (cordes en nylon pour les 3 plus aigües).

Des vents et des cordes

Comme souvent pour une orchestration délicate, on compte sur des instruments d’orchestre. Ici, c’est une rangée de violons qui nous livre le mielleux nécessaire, et une section de bois (savoureuses flutes traversières en avant) qui apporte la légèreté indispensable à la bossa.

Le piano, quant à lui, est cantonné à un rôle de pot de fleurs : il décore sagement dans un coin, mais c’est tout aussi délicieux.

Des demi-tons pour changer les accords

Examinons un instant encore la série d’accords qui précède le refrain. Les musiques latines adorent les suites chromatiques, c’est-à-dire une montée ou une descente par demi-tons. On en trouve une très belle dans la mesure précédent chaque refrain « Paroles, paroles, paroles ».

Cette variation chromatique va modifier l’accord de dominante (degrè 5, qui précède le degré 1, donc ici do⁷ avant fa m) : sol♭, puis sol♮, puis sol♯, puis sol♮.

Cela modifie donc directement les accords qui sous-tendent la mesure, comme le montre cette partition :

Autres versions

Chose curieuse, il n’y a pas foule de reprises de cette chanson. Céline Dion a bien repris ce duo en 1996 sur France 2, mais franchement ça manque d’âme. Alain Delon récite son texte trop machinalement, et Céline Dion n’a pas du tout la voix qui convient à cette bossanova.

En revanche, la version d’Ibrahim Maalouf (bel album de reprises de Dalida, 2017) ayant recruté -M- et Monica Belluci, fonctionne très bien (on retrouve l’accent italien qui fait le charme de ce titre).

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