Je le dis tout de suite : je ne suis pas du tout un vrai fan de Bruce Springsteen. Je ne connais que très peu sa discographie. Mais j’ai entendu son titre Faithless sur les ondes, annonciateur du son septuple (!) album prévu pour fin juin 2025 : Tracks II : The Lost Albums. 83 chansons inédites que le « Boss », 75 ans, s’apprête à publier.
Style épuré
Cette chanson toute simple mise sur l’authenticité. Cette ballade country gospel met en avant les guitares, et encore plus la voix du chanteur de la Côte Est. On est loin du chant crié « Boooorn in the USA-A » ; on trouve ici un grain de voix posé et méditatif, qui n’est pas sans rappeler Bob Dylan ou Johnny Cash.
Les doux chœurs gospel, apparaissant à la fin du 2ᵉ couplet, sont dans la retenue, apportant un touche très humaine, presque corporelle, à la chanson.
En cherchant bien, sur la fin de chanson, on entend quelques bébé-rugissements d’harmonica, instrument cher au musicien affichant plus de 100 millions de disques vendus dans toute sa carrière.
Guitare « DADGAD »
Les guitares sont évidemment à l’honneur (il y en a trois : deux acoustiques, et une en slide guitar : ce son de guitare très lié à la country et la folk est obtenu avec un tube en fer (slide ou steel bar), qui permet de glisser sur les cordes, au lieu d’appuyer avec le doigt sur le manche.
La guitare acoustique principale est accordée (probablement) en DADGAD. Cela n’a rien à voir avec la capitale de l’Irak, mais c’est un accordage particulier des 6 cordes de guitare : au lieu de l’accord classique en mi-la-ré-sol-si-mi (EADGBE), trois des cordes sont accordées un ton en dessous pour arriver à DADGAD (exercice : trouver quelles cordes.)
Cet accordage, fréquent en musique celtique, ou folk, permet de laisser plus de cordes sonner ouvertement (on un son plus métallique, avec bien plus d’harmoniques qui résonnent). Souvent, cela donne des morceaux en ré (la corde la plus grave). Bien sûr, un autre accordage nécessite d’opérer d’autres doigtés pour les accords !
Pas beaucoup d’accords
La chanson ne comporte que 3 accords : ré (degré 1), la (degré 4) et sol (degré 5). Pas besoin de plus dans ce « cantique » !
Un enchainement particulièrement gospel se fait entendre sur le leitmotiv de la chanson (« Faithless, faithless, faithless ») : degré 1 – degré 4 – degré 1. C’est la même séquence qui se trouve par exemple dans le classique Oh Happy Day !
La foi dans une rencontre
Si le style est gospel, ce n’est pas forcément évident que le titre soit un cantique à la gloire de l’Évangile (= gospel) de Jésus-Christ.
C’est un poème en plusieurs strophes sur la possibilité de retrouver la foi alors qu’on pensait l’avoir perdue. La foi en quoi, le texte ne le dit pas.
L’histoire racontée est celle d’un espoir, d’une foi redonnée ou retrouvée en rencontrant, en voyant, en trouvant quelqu’un (les trois différents verbes des trois couplets).
Faithless, faithless, faithless
Then I met youFaithless, faithless, faithless
Then I saw youFaithless, faithless, faithless
Then I found you
On ne sait pas qui est ce You : une femme ? un ami ? Dieu ? Mais toujours est-il que la rencontre est restée très marquante pour l’auteur. Il se rappelle les moindres détails de cette rencontre : le petit abri dans le jardin, le ciel bleu, la rivière, etc.
Comme ces jours marquants dans notre vie, où de petits détails insignifiants nous font repenser à ce qui était vraiment important.
Orientation biblique des paroles
Une expression est cependant une allusion à peine voilée à des épisodes bibliques, au début du pont, ce qui pourrait nous faire penser malgré tout à une rencontre avec la transcendance (Bruce Springsteen se décrit comme un croyant catholique non pratiquant). On apprend par ailleurs que cette chanson avait été écrite dans les années 2000 (mais jamais publiée) comme la BO d’un film (un « western spirituel ») qui n’a jamais vu le jour, ce qui pourrait appuyer une interprétation spirituelle.
I reached for the hem of his garment
J’ai atteint le bord de son vêtement
Le vêtement du prêtre, dans l’imagerie biblique, était associé à une connexion à Dieu. Son habit était fait de franges. Mentionnons deux textes bibliques qui parlent du bord du vêtement, un dans le Nouveau Testament, et l’autre dans l’Ancien.
Le Nouveau Testament, dans ses trois évangiles dits synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) présente le récit d’une rencontre entre une femme malade depuis 12 ans et Jésus. Celle-ci est mue par une foi inhabituelle : elle cherche simplement à toucher le bord du vêtement de Jésus.
Et voici, une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans s’approcha par derrière, et toucha le bord de son vêtement.
Matthieu 9:20
Et Jésus récompense grandement sa foi. On peut l’imaginer, s’approchant de Jésusfaithless, faithless (sans vraiment de foi)… puis elle l’a rencontré !
Ce récit est d’ailleurs admirablement mis en scène dans la série The Chosen, saison 3 épisode 5 ; la femme en question se réfugie justement à la rivière. C’est là qu’on la voit pour la première fois (c’est de là aussi que part notre chanson) ; elle s’isole à la rivière de peur de contaminer les autres par son impureté rituelle.
Le deuxième texte se trouve dans le psaume 133, qui célèbre la joie pour le peuple de Dieu de se trouver ensemble.
[Demeurer ensemble], c’est comme l’huile précieuse qui,
Psaumes 133:2
répandue sur la tête,
Descend sur la barbe,
sur la barbe d’Aaron,
Qui descend sur le bord de ses vêtements.
Quand on voit les frères et les sœurs, c’est comme si l’huile de la bénédiction (encore une image biblique) coulait sur la barbe du prêtre, jusqu’au bord de son vêtement. Image d’abondance. En transposant avec la chanson de Bruce Springsteen, on pourrait presque dire que ce qui redonne de l’espoir et de la foi au croyant qui doute (faithless), c’est le fait de retrouver le chemin d’une communauté, d’un rassemblement, en campagne ou à la ville, qui nous permet de nous tenir dans la lumière de Dieu !
L’espoir d’une rencontre
Ne négligeons pas la force d’une rencontre. Surtout une rencontre avec le divin. Elle peut nous redonner la foi, la faire renaitre ou même grandir !
