C’est une tragédieBee Gees – Tragedy

À l’heure où la période disco commence (déjà) à être sur le déclin, le trio australo-britannique Bee Gees se sont mis depuis quelques années à proposer des tubes disco, notamment celui qui nous occupe aujourd’hui : Tragedy, en 1979.

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Tous les petits trous sont remplis

Question rythmique, cette chanson installe d’emblée un beat disco métronomiquegrosse caisse, caisse claire, et le charleston qui fait des « croche-deux-doubles » par dessus.

Pas de quoi fouetter un chat au niveau rythmique. Même la basse est assez ennuyeuse. Mais la disco, c’est un ensemble : les cuivres, les cordes, et surtout le chant.

Les synthétiseurs sont omniprésents et sont là, avec leurs arpèges, pour remplir chaque petit trou laissé par la batterie. Les cuivres, pointus, remplissent le même rôle.

Le style de Tragedy est finalement assez teinté rock. Le riff des synthétiseurs, en ouverture et tout au long de la chanson, ressemble beaucoup à un riff de guitare rock. C’est assez proche de la chanson The Final Countdown d’Europe (1986) par exemple. On peut laisser aux Bee Gees qu’au travers de leurs mille chansons, ils ont su explorer bien des styles différents.

Un chant à trois voix

Quand on est les Bee Gees, c’est le chant qui compte. Trois frères, les frères Gibb, unissent leur voix pour créer ce son reconnaissable entre mille : des harmonies rapprochées, portées par le célèbre falsetto de Barry Gibb (ce n’est apparemment pas pas ce BG-là qui a donné son nom « BGs » au groupe, ni même les « Brother Gibbs »). Ses deux autres frères étant décédés dans la décennie passée, Barry est le seul représentant aujourd’hui de ce trio (et aussi la tête la plus connue !)

Si la tessiture de Barry reste impressionnante, cette voix de fausset (un homme qui chante au-dessus de son registre naturel, par opposition à la voix dite « de poitrine »). Bien des chanteurs utilisent cette technique pour atteindre des notes que ne peuvent pas atteindre les hommes naturellement (Michel Polnareff, Pascal Obispo, Mika, par exemple).

Ce qui est vraiment intéressant est de constater la symbiose vocale entre les trois frères. La plupart du temps, les voix sont enregistrées par couches successives : une première voix est enregistrée, la suivante par dessus, etc. Mais Barry, Robin et Maurice refusaient d’être séparés au moment de la prise des voix. Ils chantaient les trois autour d’un unique micro, chacun avec son rôle. Le résultat est étonnant de justesse et de synchronicité !

Un micro Neumann U67 sur lequel chantaient les Bee Gees

Montée d’accords en progression

La grille d’accords de cette chanson est intéressante et sort de l’ordinaire.

Le couplet part de ré majeur, puis mi majeur, puis même fa♯ majeur. Cela crée à chaque fois une surprise de monter l’accord d’un ton, et la mélodie avec. (Ce n’est pas une modulation, mais un emprunt à des tonalités cousines.)

Jusqu’au refrain (tellement entrainant) en si mineur, l’harmonie passe encore par sol majeur.

Cela donne :

couplet : D  ↗  E  ↗   F♯  ↘  E  ↗  G…  (↗)
refrain : Bm  F♯m7  Bm  F♯m7  A11

Voyez-vous la montée progressive ?

L’accord « 11ᵉ »

Je m’arrête encore un peu sur l’accord du milieu du refrain : un accord d’onzième, très utilisé en disco, soul, jazz.

Par exemple, l’ouverture de YMCA des Village People est basé uniquement sur cet accord. Il propose une suspension, mais une suspension agréable, sur laquelle on resterait un bon moment (contrairement à un simple accord de septième).

Le pianiste le réalise facilement : sur la basse donnée, il suffit de jouer l’accord du ton en dessous :dessous

  • La¹¹ = la à la basse ;
  • un ton en dessous = sol
  • donc jouer sol-si-ré par dessus (accord de sol majeur)

Cet accord mériterait d’être plus utilisé !

La douleur de la séparation

Le thème de la chanson est celui d’une douloureuse séparation (un thème franchement éculé dans la chanson). Il n’y a pas une grande force dans le texte, mais on ressent tout de même l’idée de « tragédie ».

Ce mot d’origine grecque désigne une œuvre théâtrale, mais par extension désigne un drame personnel.

C’est ainsi que les Bee Gees décrivent la tragédie (hook du refrain ; encore une fois, ce refrain dépote et est vraiment très accrocheur).

C’est une véritable tragédie :

Quand les sentiments ont disparu, et que tu ne peux plus avancer
Quand le matin crie à l’aide et que tu ne peux plus le supporter
Sans personne pour t’aimer, tu vas nulle part
Quand tu pers contrôle, que tu ne te sens plus vivant,
Quand le matin crie à l’aide et que tu ne peux plus le supporter
Sans personne à tes côtés, tu vas nulle part

(traduction libre du refrain)

Où aller ?

C’est la question de celui qui est sans espoir : comment se relever après une séparation, une déchirure, un abandon ?

Bien des psaumes bibliques viennent en aide à celui ou celle qui se trouve dans cette situation. Comme nous, les « psalmistes » (auteurs des psaumes) ne savaient plus où se diriger.

Je dis: Oh! si j’avais les ailes de la colombe,
Je m’envolerais, et je trouverais le repos;
Voici, je fuirais bien loin, J’irais séjourner au désert;
Je m’échapperais en toute hâte, Plus rapide que le vent impétueux, que la tempête.

Psaumes 55:6-8

La métaphore des ailes contenue dans le psaume 55 fait bien sûr penser à la mort, au désir d’en finir avec la vie, parce qu’on la trouve trop difficile.

Mais il existe un être auquel on peut s’adresser, qui recueille chacune de nos larmes et vient au secours de ceux qui font appel à lui, ainsi que le dévoile une autre partie du psaume 55 :

Et moi, je crie à Dieu, Et l’Éternel me sauvera.

Psaumes 55:16

À l’image de la belle entente des frères Gibb (même si tout n’a pas été tout rose dans leur relation), ne désespérons pas dans l’humain, qui peut être bien décevant dans bien des situations. L’Éternel nous secourt aussi dans nos relations brisées.

L’un des frères imite un bruit d’explosion dans un micro, qui apparait à 3’34. Honnêtement, je n’ai pas bien compris à quoi il correspondait, peut-être un coup de révolver mal dirigé ? On voit le geste lors de la session d’enregistrement dans les studios Criteria à Miami.

Autres versions

Reprise du groupe dance britannique Steps en 1998 : passez votre chemin !

Une autre reprise rock de Celldweller se trouve ici. Ils ont pris des libertés sur les harmonies; le refrain est assez réussi (moins pour le couplet)

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