Ce classique du reggae nous plonge dans une traversée d’une jungle embuée. Parler de vapeur dans le monde du reggae fait en général immédiatement penser aux fumées de marijuana (d’ailleurs Spotify me propose une image de deux personnes en train de rouler un joint en écoutant cette chanson sur mon smartphone) ; mais allons plus loin que cela.
Natural Mystic est le premier titre de l’album Exodus, opus phare du légendaire chanteur jamaïcain, accompagné de son groupe, les Wailers (classé meilleur album du 20ᵉ siècle par Time Magazine) Il renferme plusieurs tubes planétaires (Exodus, Jamming, One Love…), mais ce refrain reggae de 1977, à peine moins connu, nous présente un Bob Marley plus sceptique, plus craintif, redoutant ce fameux « vent mystique ».
Un souffle insaisissable
La traduction en français de cette expression n’est pas aisée. Une mystique naturelle ? Un vent mystérieux ? Un esprit insaisissable ? Ou, pour parler le langage biblique, un souffle [divin] imperceptible ?
There’s a natural mystic blowing through the air
Ce qui flotte dans les airs, c’est ce qui effraie le poète. Comme une prophétie qui annonce quelque chose. Une prédiction funeste, une « trompette » qui sonnera. (Plusieurs ont d’ailleurs repris ce texte lors du confinement liée à la Covid-19 en 2020, par exemple ici ou là).
L’album Exodus regorge de références bibliques, le reggae rastafarien s’inspirant régulièrement de la messianique biblique, en y mêlant toutes sortes d’autres attentes et croyances.
Dans Natural Mystic, ce sont les trompettes, associées clairement au vocabulaire apocalyptique.
La fin du monde, c’est pour bientôt ?
Le livre de l’Apocalypse présente la fin des temps sous la vision de sept anges jouant chacun une trompette. Ces trompettes sont associées à des cataclysmes faisant beaucoup de victimes. (Cette image convient mieux à notre texte qu’une autre référence aux trompettes, lors de la conquête de la ville de Jéricho par le peuple d’Israël. On sent plus ici un climat défaitiste qu’une velléité conquérante.)
C’est peut-être la première trompette
(traduction libre)
Ou bien c’est la dernière
Beaucoup vont encore devoir souffrir
Beaucoup vont encore devoir mourir
Je ne vais pas vous mentir
Alors que souvent, Bob Marley parle de paix et d’espoir dans ses chansons, ici il semble plus dubitatif, plus pessimiste : il craint que beaucoup encore souffrent, et ne veut pas qu’on se trompe là-dessus. « Si vous écoutez attentivement, vous l’entendrez [aussi]. »
Ce « souffle » défaitiste annonçant des malheurs vient plonger le chanteur dans l’incompréhension :
Ne me demandez pas pourquoi !
(traduction libre)
Cela peut vouloir dire deux choses différentes, que nous pouvons également répondre à ceux qui nous questionnent sur la fin du monde.
- L’aveu d’incompréhension : Je trouve cela complètement insensé. Ne me demandez pas quelle logique il y a là-dedans ; je n’y comprends rien.
- Le dédouanement : Je ne suis pas responsable ! Demandez plutôt à celui qui fait
souffler cet air (Dieu ?) C’est lui qui sait pourquoi.
Avant, ce n’était pas comme ça
Les choses ne sont plus comme dans le passé
(traduction libre)
Y a-t-il une certaine nostalgie du passé dans le texte du roi du reggae ? Comme il peut y en avoir chez tous ceux qui arrivent à un certain âge ? Est-ce que le monde va vraiment toujours plus mal ? C’est le sentiment de certains chrétiens, qui, voyant les malheurs s’accumuler dans le monde, croient beaucoup plus discerner la dernière trompette que la première.
Mais cela correspond-il vraiment à la réalité ? Peut-on vraiment dire que tout va plus mal ? Que toute notre société est embuée par un esprit mystique conduisant à un funeste sort de l’humanité ? À chacun de juger.
La Bible reste optimiste !
Le livre de l’Apocalypse, puisque c’est celui qui est probablement pointé par cette chanson, reste étonnamment optimiste quand à la fin des choses : Celui qui est « du bon côté » n’a pas à redouter que les trompettes sonnent. Il est en sécurité auprès de celui qui conduit toute l’histoire. Personne n’est obligé de se laisser abattre par l’esprit mystique naturel de la fin des temps !
Juste avant que les trompettes ne commencent à sonner (Apocalypse 8.6), Dieu rassure les siens :
Celui qui est assis sur le trône dressera sa tente sur eux; ils n’auront plus faim, ils n’auront plus soif, et le soleil ne les frappera point, ni aucune chaleur.
Apocalypse 7.15-17
Car l’agneau qui est au milieu du trône les paîtra et les conduira aux sources des eaux de la vie, et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux.
Quelques mots sur la musique
Côté musique, la version originale de la chanson comme par un fade in. C’est l’inverse du fade out, bien plus fréquent, qui termine les chansons en baissant le volume. Cet effet nous plonge directement dans cette jungle mystérieuse et embuée ! Le souffle léger apparait petit à petit.
La rythmique reggae est des plus standards (mais c’est cela qui est bon dans ce style) :
- une basse répétitive (toujours le même riff sur l’ensemble du titre, qui s’adapte à l’accord en cours.
- les petites percussions régulières, mixées en stéréo, qui installent le groove répétitif (cabasa à gauche, charleston à droite, (très) grosse caisse de temps en temps sur le premier temps.
- le contretemps marqué très fortement (guitare + clavier)
- les cuivres qui offrent des réponses régulières (on pardonnera les thèmes en quartes parallèles un peu moins heureux)
- la guitare solo de Junior Marvin, qui permet de varier un peu l’intensité du morceau. Elle est véritablement l’élément mystique du morceau !
Reprises
Beaucoup ont proposé des reprises de ce titre. J’en signale quelques unes.
- Yannick Noah, sur son album hommage à Bob Marley, propose un reggae de style plus africain (kora, cordes pincées…) agréable à l’oreille.
- Alborosie (un Italien) a réussi un titre ragga, plus lent, avec un texte paraphrasant et prolongeant le texte original, avec, en featuring, l’un des fils de Bob, Ky-Mani Marley.
- La reprise d’Aṣa, plutôt fade, offre toutefois à nos oreilles quelques cuivres « soft sax » assez bien dessinés.
- Ou, si vous aimez les vidéos « around the world », cette version est faite pour vous.
Bref, longue vie au reggae !
Oh yeh man!!!! Longue vie au reggae!
Suis dessus avec mes classe de 3è! Me souvenais plus de celle-ci avec un tempo bien lent qui leur permettra de sentir bien mieux les contre-temps et le One Drop! Nickel aussi les reprises!
Trop merciiii
Belle analyse très pertinente ! j’ajoute qu’il ne s’agit en fait pas de la version originale, il a enregistré une première version avec Lee Perry plusieurs années avant, sans fade in. Les cuivres sont aussi très différents dessus.
Nadine: quelle chance pour tes élèves de suivre des cours comme ca !!