Dans les années 1970, la musique part dans toutes les directions. Le rock, notamment, connait des bifurcations inédites. En marge de son côté musclé (hardrock), le mouvement prend de nouveaux noms, comme art rock, glam rock : on recherche un côté plus élitiste, plus raffiné. David Bowie, en Angleterre, est l’emblème de ce rock à paillettes, à voix androgynes. Le space rock (Wikipédia fourmille de nuances de rock dans lesquelles on se perd facilement !) recherche un côté plus psychédélique avec le style Pink Floyd.
C’est dans ce contexte que nait la collaboration entre Christophe, le chanteur parisien, et Jean-Michel Jarre, le musicien électronique lyonnais, qui devient parolier sur tout l’album Les Paradis perdus, paru en 1973.
Démodé à 30 ans
Pourtant au début de sa carrière (il n’a pas 30 ans), Christophe campe un personnage, un chanteur déjà usé, veilli. Il est perdu dans un style musical qui a eu du succès dans le passé, mais désormais démodé.
On y reconnait la description de ce rock anglais à la Bowie :
Dandy un peu maudit, un peu vieilli
Les accords de ce rock sophistiqué
Qui bétonnait comme les Anglais
L’ouverture plante le décor :
Dans ma veste de soie rose
Je déambule morose
Le crépuscule est grandiose
Pour le jeune Daniel Bevilacqua (c’est le vrai nom de Christophe), tout juste affublé de sa moustache qu’il ne quittera plus, c’est déjà le crépuscule.
Comme pour dire que la mode musicale change très vite ! Après une période « yéyé » lors de laquelle il a eu un certain succès, il fallait se recycler.
Et de façon très ironique, il va miser sur son style « pop rock électronique » avec une chanson qui parie que ce sera bientôt dépassé. Il « emprunte une contre-allée pour toujours », comme le dit poétiquement cet article de France Inter.
La reprise avec Arno
C’est surtout la reprise de 2019, enregistrée sur une compilation de duos (Christophe, etc., deux volumes) qui est intéressante.
Car elle met en opposition – en complémentarité – la voix rauque et grave du belge Arno et celle haut-perchée, fluette et presque effacée de Christophe.
Les paroles du refrain prennent encore plus d’ampleur quand elles sont chantées à deux :
Mais, peut-être un beau jour voudras-tu
Retrouver avec moi
Les paradis perdus
L’ironie continue, car c’est littéralement à la fin de leur carrière que l’un et l’autre chantent ces lignes, écrites pour décrire un chanteur enfermé dans son style désuet. Ce qu’a précisément été Christophe jusqu’à la fin de sa vie. « Dandy un peu veilli, dans ce luxe qui s’effondre. » Cet article de la radio belge La Première décrit joliment cet effet miroir dans la vie de Christophe. C’est toutefois un peu moins vrai pour Arno, qui a réussi à rester toute sa vie en dehors de cases trop rigides.
Christophe décèdera l’année suivante (une des premières célébrités décédées de la Covid-19), et Arno deux ans plus tard, en 2022, des suites d’un cancer. Deux chanteurs que l’art a réunis sur ce titre.
L’arrangement
Franchement, la version originale est hyper datée. Les cordes synthétiques de Jean-Michel Jarre sont dignes d’un musée, et l’arrangement très minimaliste (sans rien enlever à son talent de l’époque !).
Heureusement, nous avons là une version moderne, grâce au savoir-faire d’Augustin Charnet. Ce musicien et arrangeur (frère de la chanteuse Mathilda, que j’ai découverte sur un titre de Dinos (Simyaci), et qui a elle-même enregistré un duo avec Christophe (Océan d’amour) !) a réussi à donner une chaleur envoutante à cette chanson. Cet Augustin (qui a produit et arrangé pour beaucoup) mérite d’être bien suivi !
Surtout, dans Les Paradis perdus-de-2019, il n’y a pas cette affreuse partie psyché-rock de l’original, qui démarre à 4’30. Non, l’arrangement est sophistiqué (!) et aux petits ognons. Les cordes, le piano, la harpe, les contrechants synthétiques, et la réverbe planante offrent un bel écrin aux deux vieux chanteurs.
Christine and the Queens a repris en 2015 la même chanson, mais on est très loin de cette version d’Augustin Charnet.
Vite démodé ?
La vitesse de notre société nous fait prendre conscience que tout passe. Même les choses les plus branchées d’aujourd’hui pour certains sont déjà désuètes pour d’autres.
Là où nous investissons notre énergie, nos moyens, notre temps, notre intérêt, est bien souvent bien éphémère.
La relation à Dieu offre un bien infiniment plus durable : son amour, sa fidélité, sa bienveillance, sa bonté. C’était un refrain très régulièrement chanté par le peuple de Dieu, dans l’ancien temps et encore aujourd’hui :
Son amour dure à toujours.
Son amour dure à toujours.
Répété à chaque phrase dans le Psaume 136 par exemple. Non, la bonté de Dieu n’est pas usée ni poussiéreuse. Le paradis n’est jamais perdu quand on place sa confiance en elle. De quoi éviter de nous sentir au crépuscule au début de notre vie, que l’on porte une veste de soie rose ou pas !