Rêver réalitéTéléphone – Un autre monde

Sur fond de tensions interne, le groupe Téléphone décide d’enregistrer un dernier album en 1984, nommé Un autre monde. Cet opus, enregistré en Angleterre et récompensé par une Victoire de la Musique l’année suivante, offre sur sa dernière piste une chanson du même nom, devenue un tube dans toute la francophonie et même au-delà.

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Un autre monde, c’est un titre utopique, mais furieusement rattaché à la réalité de notre monde. Jean-Louis Aubert, le Mick Jagger français, interprète son texte avec sensibilité et énergie. Je trouve par ailleurs que Jean-Louis Aubert est un de ces interprètes qui vieillissent très bien, ayant su garder leur émotion et leur envie de communiquer par le chant (ce n’est pas le cas de tout le monde en approchant des 70 ans).

Un classique rock

Après une hésitation dans l’introduction sur le tempo (124 à la noire), la chanson démarre après deux énormes coups de caisse claire à 145,5 (peut-être un peu fluctuant, on n’est pas à l’ère des pistes millimétrées sur des cases fluo dans des logiciels numériques).

Ladite caisse claire est lourde, profonde, comme tous les groupes rock de cette époque. Ça résonne beaucoup, et Richard Kolinka le batteur n’hésite pas à y mettre de son corps pour la faire trembler.

La basse ne fait pas des folies : elle suit les quelques accords avec des croches répétées, offrant un terrain quasi vierge pour les guitares, qui elles remplissent bien l’espace (essayez de les repérer dans une écoute stéréo) :

  • à gauche, une guitare avec réverbe, qui maintient la grille d’accords avec fidélité, tantôt en laissant résonner ses notes, tantôt en donnant du rythme en palm mute (paume de la main étouffant les cordes, la base pour un guitariste) ;
  • à droite, une guitare crunch, légèrement saturée et incisive, qui va offrir des petits punch (ça rime) rythmiques, de petites phrases pour répondre au chant quand il s’arrêt.

Le pentatonique, ça passe partout

L’intro et les couplets restent dans des accords voisins, et les notes appartiennent à la gamme pentatonique (comme son nom l’indique, c’est une gamme de 5 notes uniquement). Tout sonne juste dans cette gamme, qui ici utilise les notes suivantes :

ré mi fa♯ la si

Le petit truc : si vous êtes devant un piano et que vous n’utilisez que les touches noires, vous pouvez impressionner vos amis en jouant n’importe quoi dessus, ça sonnera toujours juste. Vous faites du pentatonique.

Le solo de guitare de Louis Bertignac après le 2ᵉ couplet est également construit sur cette gamme. Ceci s’intègre bien dans la grille d’accords principale :

D Bm F♯m
(et G A G A G A sur la deuxième partie de chaque couplet)

Rêve, utopie, réalité

Le texte de Jean-Louis Aubert se compose de trois couplets, eux-mêmes divisés en deux parties, appelons-les A et B. Il y décrit, d’une part en A, son rêve, son côté utopiste d’imaginer un monde différent, et d’autre part, en B, la réalité qui rattrape nos rêves les plus fous.

Le clip met ces deux aspects en contraste (rêve et réalité) avec le chanteur adulte, occupant une chambre d’enfant. L’enfant qui est en nous rêve, l’adulte qui est nous se confronte à la réalité.

À chaque partie B, on entend une cloche (cowbell), frappée par le batteur sur tous les temps. Comme pour signaler « Réveille-toi, le rêve est terminé ! ».

Dans le premier couplet (1A), le monde dont il rêve, c’est celui qu’il habite, que nous habitons tous : la terre est ronde, la lune est blonde, la vie est féconde !

Mais, en 1B, il ne veut pas le voir : il dort, il ferme ses yeux à la réalité du monde. Qu’il le veuille ou non, ce monde, c’est bien sa réalité.

En 2A, prolongation du rêve : le monde idéal devrait être différent de tout ce qu’on a connu jusqu’alors. Plus mystérieux :

Une terre moins terre à terre

(Peu ont réussi à caser ce même mot trois fois dans une même phrase !)

Le rêve de « tout foutre en l’air » est celui, partagé par bien des penseur de toutes les époques, de réinventer, de repartir de zéro pour faire mieux. Là encore, 2B vient nous ramener à la dure réalité :

Je marchais les yeux fermés
Je ne voyais plus mes pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité m’a alité

L’utopiste, les yeux fermés, continue d’appartenir à un monde qui avance. L’image des trains qui défilent dans le clip alimentent la même idée. Le monde avance, et se dirige toujours plus vers un mur. Peut-être l’interprète s’est-il cogné dans ce mur, et s’est-il blessé (alité) ?

La fin du rêve ?

Le troisième couplet apporte son lot de déception. Même la voix d’Aubert adopte le ton de la désillusion :

Oui, je rêvais de notre monde (ital. ajoutés)
Et [notre p*** de terre] est bien ronde ! [mots ajoutés en live]

Il n’y a pas d’autre monde. Celui dans lequel nous vivons est notre monde à nous, et nous n’avons pas le pouvoir d’en créer un nouveau.

Le rêve de départ se mue en celui d’une réalité qui a gardé la tragique banalité du quotidien.
Il faudra se contenter de notre monde !

(https://lhistgeobox.blogspot.com/2013/02/269-telephone-un-autre-monde-1984.html)

Ainsi, ce cri termine la chanson, répété à l’infini :

(Que) dansent les ombres du monde !

À chacun d’interpréter ces paroles comme il l’entend (je vous avoue que je n’ai pas vraiment trouvé de sens à cette phrase finale).

Une nouvelle chance

Cela me fait penser au projet de Dieu, après la Création du monde et la rébellion des êtres humains. RecommencerRedémarrerRepartir à zéro, pour un monde meilleur, un autre monde.

C’est ce qu’il a voulu faire avec Noé, un homme choisi pour amener une humanité nouvelle dans un monde régénéré (par le déluge, ayant détruit et recréé derrière lui). Ce qui l’a fait rêver d’un autre monde, c’est le fait que le mal soit partout. Et c’est peut-être la même pensée qui a inspiré Jean-Louis Aubert pour son texte.

L’Éternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal.

Genèse 6.5

Mais qu’observe-t-on après cette nouvelle chance accordée à l’humanité ?

C’est pareil qu’avant. Le rêve est retombé, et la réalité nous rattrape. Le mal est toujours présent, car profondément ancré dans le cœur de l’homme.

C’est ainsi que Dieu va réellement imaginer un autre monde. Un royaume différent, une culture nouvelle, une communauté de croyants à qui il offrirait sa présence. Et cela apparait quelques pages plus tard dans la Bible, toujours dans ce premier livre de la Genèse : Dieu appelle Abraham, qui sera le père de cette nouvelle communauté, l’ancêtre des croyants (voir Genèse 12.1-3).

Les croyants peuvent rêver d’un autre monde. Une place que Jésus leur prépare dans sa présence. Par la foi, l’utopie devient possible. Il peut rêver réalité. Pour ce monde-ci, et pour celui à venir.

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