L’amour, l’amour, l’amour (oui, répété trois fois) est une chanson de Mouloudji, chanteur à textes du 20ᵉ siècle. Il a également été acteur et peintre, mais aura surtout marqué la culture populaire par sa voix veloutée et nostalgique, une sorte de Charles Aznavour algérien, avec un regard ravageur et des r un peu moins grasseyants.
Deux pistes ont pu conduire le grand public à redécouvrir ce titre de 1963 : une pub de 2020 pour Intermarché Drive (mettant en scène une histoire d’amour autour de points de livraison de légumes), et, un peu plus tôt, un remix chill du collectif Bon Entendeur en 2019 (on leur doit aussi le remix Le temps est bon).
« [Notre] but est de ressusciter ces chansons afin qu’elles ne tombent pas dans les oubliettes, mais également pour leur offrir une nouvelle atmosphère, fraîche et moderne. » La promesse de Bon Entendeur s’est réalisée pour moi, j’ai ainsi pu découvrir, sous la généreuse couche de compresseur side-chain, cette ballade mélancolique mais très poétique.
Un réveil dans une berceuse
Alors que le remix de 2019 propose un tempo de 98 la noire, la version originale nous berce à seulement 77, avec ses croches de piano qui martèlent les trois minutes de la chanson sans s’arrêter. Comme un réveil qui sonnerait continuellement… par-dessus une berceuse.
Peut-être que ces notes de piano cherchent à nous ramener sans cesse à la réalité de ce qu’est réellement l’amour. Si on peut se bercer de douces illusions, on reste des êtres incarnés, liés au concret de la vie.
Des métaphores
Le texte est construit autour d’une quinzaine de métaphores censées décrire l’amour. On trouve quelques admirables bijoux :
L’amour, c’est un printemps craintif
L’amour, c’est le poivre du temps
L’amour, c’est, plus d’une fois, un panier vide aux bras
D’autres comparaisons sont plus énigmatiques (peut-être n’ai-je pas suffisamment l’âme d’un poète) :
[L’amour, c’est] une feuillée de lune
L’amour, mais la nuit a un bonnet…
Mais c’est là aussi la puissance des vers: ils rejoignent ceux qui se les approprient !
Un orchestre de crooner
L’accompagnement orchestral est classique (des cordes et des vents), mais fait toujours plaisir. Cela donne un côté extrêmement soyeux à cette chanson. L’onctuosité de l’orchestre se mélange délicieusement avec les clang-clang du piano dont je parlais tout à l’heure. On entend même un cor faire des contrechants sur la 3ᵉ strophe.
J’aime aussi le tout simple… changement de tonalité sur cette même strophe (+½ ton). Pendant quelques secondes, on a l’impression reprendre un peu de hauteur, comme un avion en papier qui serait momentanément repoussé vers le haut au cours de sa lente course.
Cycle des quintes
La grille d’accords de la deuxième partie du couplet est un classique du cycle des quintes descendant (Benjamin Biolay en est un grand utilisateur, par exemple dans Jardin d’hiver, ou Ton Héritage. I will survive est aussi un exemple du genre, il y en aurait plein plein plein).
Gm C F B♭ E° A Dm
Reconnaissez-vous ces notes qui s’enchainent ? C’est à chaque fois une quinte qui descend. Les harmonies coulent naturellement dans cette roulade qui ne cherche qu’une chose, retomber sur ses pieds (ici Dm). Et en continuant, on peut retomber sur Gm.
Trois fois l’amour
Le texte répète trois fois le mot-clé : l’amour, en ajoutant « qu’on entend tous les jours. » Quoi de plus galvaudé, en effet, que l’amour ? Ce mot n’est-il pas devenu un fourre-tout pratique pour décrire toute une foule d’actes et de sentiments tous azimuts, qui viennent parfois même se contredire ?
Certaines des métaphores de la chanson peut nous en décrire une partie, mais l’essentiel de l’amour ne se raconte pas, il se vit !
C’est ainsi que se termine notre titre :
À l’amour c’est quand je t’aime
À l’amour c’est quand tu m’aimes
Sans me le dire
Sans te le dire
Quand on aime, on le sait, et ça se voit !
L’amour de Dieu, lui, se voit aussi !
Si Mouloudji se déclarait dans son Autoportrait comme « Athée, ô grâce à Dieu ! » (cette formule ne manque pas d’ironie !), il pouvait parler de l’amour car Dieu a mis en chaque être humain une idée, un idéal, un absolu qui s’appelle l’amour. Nous l’habillons parfois avec ce que nous trouvons, mais la vie de disciple nous apprend à donner corps à cette amour pour les autres avec ce que nous comprenons nous-mêmes de Jésus. Comment a-t-il incarné, concrétisé cet amour ?
C’est en regardant à lui que nous pourrons observer et admirer l’amour du Père, celui qui est le meilleur « poivre du temps ». Celui qui sait donner du gout à chaque moment de l’existence !