Cet hymne de rap français sort en 2003, 4ᵉ titre de l’album du même nom, par le collectif Sniper. Ce groupe originaire du Val-d’Oise propose un rap à la structure ordinaire : trois couplets, un pour chacun des membres du groupe, intercalés avec un refrain mélodique.
Une instru qui tape
Le producteur suisse Yvan “Peacemaker” crée le son qui va le faire connaitre, dans la lignée des producteurs américains de l’époque, Dr. Dre en tête. (On repère d’ailleurs des deux mêmes accords sur l’anthologique Still D.R.E. dans un ordre inversé : B♭m / Fm pour les Américains (sur un la à 424 !) et Fm / B♭m pour les Français. Les deux presque exactement au même tempo, 93 à la noire.)
Les cordes et le piano sont ciselés, le son marqué de la batterie accentue la thématique : on burine, on martèle, on grave dans la roche. Cela accompagne à merveille la thématique de cette chanson, un classique dans le rap : les artistes racontent leur propre parcours dans ce milieu artistique, la façon dont ils sont sortis de l’ombre pour arriver à la lumière.
Malgré la faute de français d’Aketo sur le premier couplet qu’on lui pardonnera volontiers, le flow varié des trois protagonistes tourne autour de deux thèmes majeurs :
La volonté de marquer l’histoire, et le vœu d’intégrité qui accompagne ce désir.
La volonté de marquer l’histoire
Qui n’a jamais rêvé d’écrire l’histoire, ou en tous cas de la marquer ? Nous avons tous cette préoccupation en nous, à des degrés divers. Le chercheur veut voir son nom conservé dans des revues scientifiques. L’enseignant veut que ses élèves se souviennent de lui quand ils entreront dans la vie professionnelle. Les parents aspirent à laisser une empreinte la plus positive possible chez leurs enfants. Les responsables politiques auront peut-être une loi qui porte leur nom.
Sniper veut que son succès devienne aussi fort qu’une inscription gravée dans le marbre (pierre très solide et très résistante). Au lieu du marbre, c’est dans la roche, sur le bitume, la dalle, matériaux plus familiers de ces freestylers de Deuil-la-Barre.
On perçoit malgré tout un conflit intérieur qui fait vibrer la plume du trio : à la fois j’ai envie de marquer l’histoire, à la fois je ne suis pas sûr de le vouloir !
Couplet 2 :
J’suis pas une vedette, et j’veux pas en être une
J’suis pas mieux qu’un autre : j’ai pas marché sur la Lune
Ce qui nous amène au deuxième thème : le vœu d’intégrité qui accompagne le souhait de « sortir de son trou ».
Vouloir rester soi-même
Marquer l’histoire, c’est devenir quelqu’un d’hors du commun. Les trois complices de Sniper décident que même s’ils atteignent le succès – ce qu’ils feront précisément avec ce titre, qui sera vendu à plus de 500’000 exemplaires, et autant pour l’album du même nom – ils veulent absolument rester qui ils sont. Et surtout, ne pas prendre la grosse tête. Le « melon », l’insulte suprême de nos jours.
On reste les mêmes, sur disque ou sur scène
clame Blacko, de sa voix ragga doublée à la tierce sur tous les refrains.
Tunisiano, de son flow haut-perché et incisif, déclare rester celui qu’il était : fragile dans sa santé, dans ses diverses dépendances, dans ses problèmes d’argent, dans sa religion. Il reste ce « chacal à l’arrache » que ses amis connaissent.
Un autre nom gravé pour nous
Pour les chrétiens, un homme a définitivement gravé son nom dans la roche pour toujours. Et ceci, tout en restant lui-même !
On peut lire dans Hébreux 5.8-9 que Jésus est resté lui-même (c’est-à-dire le Fils soumis au Père, qui lui a obéi en tout point, sans prendre la grosse tête) tout en ayant marqué l’histoire (il a été « élevé à la perfection »).
Et comme le dit une autre phrase du refrain dans notre chanson : C’était écrit, c’est pas un hasard !
Ceci pour que chacun, que ce soit « sur le disque ou sous le porche », dans son quotidien, avec ses problèmes, sur son continent, dans son contexte, puisse voir son propre blaze « gravé dans la roche. »